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Pouvoir, politique et redéfinition de l’innovation : Une discussion avec Ishmael Sunga

14 June 2021

Ishmael Sunga est le président-directeur général (PDG) de la Confédération de l’Afrique australe des Unions agricoles (Southern African Confederation of Agricultural Unions, SACAU).

Ishmael Sunga, un ressortissant du Zimbabwe, possède plus de 30 ans d’expérience dans l’agriculture et le développement rural, y compris dans la recherche politique, le plaidoyer et la gestion du développement. Il est devenu PDG de la SACAU en 2005, deux ans après la création de son secrétariat régional permanent. Depuis, il a fait de la SACAU la voix des agriculteurs d’Afrique australe, en dirigeant le travail de l’organisation dans plusieurs domaines clés, notamment les solutions numériques, la gestion du changement climatique, le développement d’une nouvelle génération d’agriculteurs et d’organisations d’agriculteurs, la gestion des systèmes et les approches multipartites, et la coopération de la chaîne de valeur.

Il exerce diverses fonctions au sein de plusieurs institutions et initiatives africaines et mondiales, telles que le Sommet des systèmes alimentaires des Nations Unies, le Forum économique mondial, l’Union africaine/NEPAD, l’AGRA, le Panel Malabo Montpellier, la Coalition pour l’alimentation et l’utilisation des terres (Food and Land Use Coalition, FOLU), le Programme de recherche CGIAR sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS), Generation Africa et la Commission sur l’agriculture durable.

Son ambition est de faire de la SACAU une organisation agricole, un groupe de réflexion sur le développement et la politique, et un centre d’innovation visant à traiter les questions systémiques de développement agricole par le prisme des agriculteurs, y compris les questions liées aux valeurs et principes fondamentaux relatifs à l’équité, la transparence, l’inclusion et l’opinion.

Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec M. Sunga, qui nous a fait part de ses réflexions sur la manière dont une transition équitable peut répondre efficacement aux défis majeurs auxquels sont confrontés les producteurs alimentaires en les plaçant au premier plan du changement de politique.

Comment définissez-vous les principaux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs ?

Comment est-il possible que ceux qui produisent la nourriture qui nourrit le reste du monde aient eux-mêmes faim ?

Tout se résume aux relations de pouvoir inégales entre les différents acteurs de la chaîne de valeur, c’est-à-dire la manière dont l’équité est distribuée sur la chaîne de valeur agricole. Les producteurs prennent le plus de risques, et ces risques diminuent lorsque vous montez dans la chaîne de valeur. La distribution de la valeur marche dans l’autre sens : les producteurs font le moins de profits, tandis que les personnes au sommet de la chaîne de valeur font le plus de profits. C’est pourquoi de nombreux agriculteurs sont condamnés à la pauvreté, même si l’agriculture est l’une des plus grandes industries au monde. En l’état, ce système n’est pas durable.

Dans quelle mesure pensez-vous que les politiques agricoles actuelles abordent l’équité ?

Avant de pouvoir discuter des solutions, nous devons nous assurer d’avoir une compréhension commune de ce qu’est le problème. De nombreuses solutions proposées pour l’agriculture ne répondent pas réellement aux problèmes fondamentaux. Par exemple, offrir des semences gratuites ne répond pas vraiment aux défis fondamentaux des agriculteurs. Mais dans notre région, la norme culturelle est d’être poli, donc si quelqu’un vous offre un cadeau, vous ne le refusez pas. Si un agriculteur se voit proposer des semences, il ne refusera pas ce soutien, même si la quantité de semences est inadéquate ou si elles sont fournies après la fin de la saison des semis. Ils vont simplement prendre les semences et les vendre à ceux qui sont en position de les utiliser. C’est une décision économique rationnelle. Ainsi, de nombreuses solutions proposées sont trop petites, arrivent trop tard et sont inappropriées. Les agriculteurs ne sont pas tous les mêmes. Ils ont chacun leurs propres défis et leurs propres contextes. Mais ils sont souvent traités comme un groupe monolithique et, par conséquent, une solution unique leur est proposée.

Comment les politiques peuvent-elles être redéfinies pour mieux fonctionner pour les agriculteurs ?

La réponse doit venir des agriculteurs eux-mêmes. Nous devons examiner les façons d’influencer la prise de décisions politiques. Par exemple, les chercheurs se basent sur les preuves et la logique. Mais ils doivent parler aux agriculteurs afin que les preuves soient fournies par les agriculteurs eux-mêmes. Souvent, les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, ce sont les personnes qui partagent ces faits qui comptent. Je veux pouvoir parler de ce qui doit être changé dans ma région, puis être soutenu par des organisations professionnelles et des chercheurs. Il est temps que les agriculteurs soient au premier plan.

Quel est le rôle de la recherche et de l’innovation dans une transition équitable ?

Jusqu’à présent, la recherche et l’innovation se sont largement concentrées sur les améliorations technologiques, telles que l’amélioration des variétés. Et pourtant, lorsque nous examinons les défis fondamentaux auxquels sont confrontés les agriculteurs, ils concernent beaucoup plus les infrastructures essentielles telles que le transport et la communication. Vous entendez souvent des chercheurs dire qu’une certaine innovation est géniale, mais que les agriculteurs ne l’adoptent pas. Mais comment une innovation pourrait-elle être géniale si les agriculteurs ne l’utilisent pas ? Nous sommes dans le cas d’une solution perfectionnée mais rejetée. Une transition équitable se produira à l’aide d’une infrastructure de base. Comment les agriculteurs pourraient-ils augmenter leur productivité dans une zone où il n’y a pas de routes, d’énergie, d’école, d’assainissement et d’autres installations essentielles ?

Les subventions doivent profiter à ces installations essentielles de la vie de tous les jours pour permettre aux gens de vivre des vies décentes et dignes.

Revenons aux bases et évaluons les fondamentaux de la vie qui sont clairement absents des régions où la majorité des agriculteurs résident. C’est un domaine parfait pour l’innovation. Il est nécessaire que l’innovation soit perçue à travers les yeux de ceux à qui elle est destinée, dans ce cas les agriculteurs. Les agriculteurs sont des innovateurs à part entière. Et une innovation n’est réussie que si elle change la vie des agriculteurs, et pas seulement si elle est publiée dans des revues scientifiques.